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La conversation s’engagea distraitement. George eut l’heureuse chance de rencontrer dans ce jeune homme un lettré, parlant le français assez correctement. Converti au catholicisme, il s’était vu déshérité par son père, protestant enragé, et voyant sa position intolérable, il avait dit adieu à sa mère et à ses sœurs, puis il s’était fait matelot. C’était une victime souffrante.

George dont l’âme était aussi blessée, se prit soudain d’une affection profonde pour cet enfant que les chagrins avaient mûri de bonne heure, sans briser ce cœur fort comme un chêne encore vert. La douleur attire ceux qui sont blessés dans leurs affections.

Pour George, le ciel se montrait propice. C’était pour lui un grand bien de trouver parmi ses ennemis de race un jeune homme noble et instruit, parlant le français, sa langue, et dont le cœur souffrant était à même de partager sa douleur en la comprenant. Il voyait donc son courage lui renaître en entier. Tout lui souriait pour son avenir. S’il n’avait eu au cœur cette plaie toujours saignante, ce départ qui l’avait brisé, il aurait été le plus heureux des hommes.

Comme il devait remercier le ciel de sa protection évidente. Aussi, le premier soir, à l’heure du quart, entre minuit et deux heures, il pria, tout en marchant de long en large sur le pont du navire qui filait toujours avec vitesse, vu que la brise n’avait pas molli.

Quelques jours ne s’étaient pas écoulés, que les préjugés de race tombèrent en face de la bonhomie et de la bonne conduite de George. Une communauté de sentiments s’établit entre le nouvel arrivant et l’équipage.