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par la nature à rechercher des mains amies, à vivre en société, pris d’un vertige soudain, fuyait le monde, et n’écoutant que la rage du cœur qui ne peut alors dominer la raison, il s’abaisse parfois jusqu’à faire couler le sang de son semblable, et cela pour un intérêt mesquin, un vil point d’honneur, une bagatelle, un rien. Oh ! l’homme.

« Ce Dieu tombé qui se souvient des cieux, » a dit Lamartine, est un être incompréhensible. Voyez ces deux enfants qui grandissent l’un à côté de l’autre, deux plantes jumelles dans la forêt. Ce sont deux amis inséparables. Plus tard les exigences de la vie, ou le caprice du hazard, les jette dans des voies différentes. Un rien, un souffle glacé passe. Les voilà brouillés. D’amis qu’ils étaient hier, les voilà ennemis jurés, bien heureux encore si les yeux ne sont pas témoins de ces scènes navrantes de deux hommes s’entredéchirant à belles dents comme des loups affamés.

Mais nos deux amis étaient sincères, eux. Ils croyaient à l’immortalité de leur amitié. Ils s’aideraient l’un l’autre, s’encourageraient, se fortifieraient dans leurs épreuves, se joindraient ensemble pour aplanir les aspérités de ce chemin douloureux — cette voie de Golgotha — qu’on nomme la vie.

Tout est terminé, le soleil a du haut, et les lèvres de l’horizon ne se fermeront pas sur lui avant plusieurs heures. Nos deux amis, le cœur en joie, filent déjà sur la route de Lévis vers leur village. Quand donc apparaîtra-t-il à l’horizon bleu, ce clocher qui dit tant aux hommes ? Comme le chemin est long, malgré que les rossignols chantent dans les buissons, que les oiseaux des mers jettent à la brise leurs cris joyeux !