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— Laisse donc. Mélas ! Bah ! l’homme n’est il pas voyageur ? N’est-il pas un nomade dont le pèlerinage ne finit qu’au tombeau ?

— C’est vrai, George ; mais entre le berceau et la tombe il y a plus qu’un pèlerinage muet. Il y a les parents, les frères, les amis.

— Tout le monde est frère, Mélas. Si l’on en laisse ici, c’est pour en trouver d’autres qui nous tendront la main au village. Ainsi, n’attristons pas ce jour, où tout est rose et velouté. Vois ce ciel qui resplendit d’un éclat inaccoutumé, écoute ces murmures de joie s’élevant de partout, ouïe ces concerts du dehors où les épais nuages ont fait place à un azur resplendissant : tout cela se mêle aux accords de joie et d’allégresse qui vibrent à l’unisson dans mon âme, et montent comme l’encens au sanctuaire, vers le trône de Dieu.

— Tape là, George. Ta bouche est d’or. Soyons des amis sincères pour la vie. Nous sommes nés sous le même ciel, George, j’allais dire sous le même toit, car nous sommes voisins au village. On dirait que la nature nous a unis au portique de la vie, pour que nous le soyions à la fin de nos jours, au revers de la tombe.

Et les deux amis se tendirent la main ; l’union était scellée en un jour qui comptait dans leur vie, le jour où ils devaient franchir le seuil de cette maison sacrée pour ne plus le repasser. Les élans de leurs cœurs, non éprouvés au contact du monde, étaient sincères, car ils ne prévoyaient pas l’avenir. Ils ne savaient pas que l’homme, quoique poussé