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autres par curiosité, firent irruption dans la salle des vieillards.

— Soyez le bienvenu sous ce toit, mon brave homme, il y a ici de la place pour tous.

— Merci, dit le nouveau venu ; un défenseur de la patrie, quelqu’ait été son passé, mérite encore un peu d’égard.

— Vous êtes un patriote ?

— Oui, j’ai combattu à St-Charles.

À ces paroles, un frisson patriotique plein d’enthousiasme passa par tous les rangs. C’est un brave, disaient quelques voix ; un martyr, disaient les autres.

— Oui, mes amis, s’écrie le mutilé, j’ai offert ma vie à Dieu pour mon pays et mon passé. Il ne l’a pas voulue ; mais pour plus de souffrance, il m’a enlevé mes deux bras dont la perte me condamne à m’humilier jusqu’à voir les autres me porter à la bouche les aliments nécessaires pour vivre. Souffrir ! oh ! mais je veux connaître la souffrance pour racheter ma vie, moi qui ai tant fait souffrir.

— Vous avez été un bourreau ? l’homme, dit Armande.

À cette voix, le mutilé eut un frisson et répondit : Oui, c’est le mot. Mais si le passé est là qui m’accable, il y a en moi l’espérance de meilleurs jours. Mais pourquoi cacher tout ! La joie vous met un bandeau sur les yeux. Ne me reconnaissez-vous pas Alexandrine, George, Laurent, Fleur-du-mystère ? Je suis Mélas Vincent, le Hibou !

Si une bombe prussienne fut tombée dans l’appartement, elle n’aurait pas produit autant de clameurs et d’étonnement.