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Comme il avait été bon et tendre ce soir-là ! comme il lui avait paru doucement ému, plus qu’il n’aurait voulu le laisser paraître peut-être.

Elle n’avait pas encore repassé dans son âme naïve et bonne toutes les joies qu’elle venait d’éprouver, que la maison craqua de fond en comble et que le Père H* s’écria :

— Mon Dieu, qui m’a frappé ainsi ?…

Et comme une plainte étouffée, la rafale, au dehors, se lamenta longuement. La mère vola à son secours. Le pauvre vieux était là, immobile, tremblant de tous ses membres, le front perdu dans ses deux mains !

— Qu’as-tu donc, mon vieux, dit-elle ?

— Oh ! tu ne sais pas, tu n’as pas vu ?

— Non.

— Eh bien, j’ai vu un poing fermé se lever et j’ai senti qu’il retombait sur mon front. Vois, ne reconnais-tu pas la marque ?

— Mais, il n’y a rien !

— Oh ! j’ai bien senti. C’est Dieu qui me châtie. Sa colère s’étend sur moi et elle s’étendra sur les miens peut-être ; je ne sais quel pressentiment me serre le cœur, que je croyais mort à jamais, ce cœur endurci qui refusa d’aller voir à son chevet notre fils malade qui m’a maudit peut-être de mon égoïsme lâche et brutal.

Au matin, les gens du village accouraient sur la grève, une barque brisée à la côte et le cadavre d’un homme attiraient tout ce peuple. Hélas ! c’était bien le fils du Père H*. Il était venu mourir en face de la demeure de son père, de celui qui lui avait fait la vie dure, en le privant de ces tendresses, de ces bons égards qui rendent la vie moins amère.

Le Père H* crut mourir de désespoir et de douleur. Plus de doute, ce bras vengeur qui l’avait frappé, c’était celui de son fils mourant, s’abîmant dans les flots sombres en face du toit qui ne lui disait rien de doux à l’âme. La douleur du vieux faisait pitié au cimetière lorsqu’on enterra le corps du marin naufragé. Il resta triste, mais d’une tristesse résignée, douce et presque confiante. Il fallait une mort pour illuminer une fin de vie.