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ner brièvement ou reprendre sans ménagement. Pourtant il paraissait vouloir revenir sur ses pas, et dans ces moments nouveaux où il aurait voulu d’une caresse attirer à lui le dernier de la famille, c’était un coup de rudesse que l’enfant recevait et vous croyez que cela n’était pas de nature à porter l’enfant à se rapprocher et le père à se montrer plus tendre.

Oh ! ces natures sauvages ne changent pas ainsi du jour au lendemain. Elles gardent jusqu’aux derniers instants, jusque dans les transports d’une affectueuse tendresse, ce ton brusque et glacial, cette rugosité de paroles et de manières qui n’ont rien qui dise le cœur, l’âme ou même la bonne volonté. Souffrent-ils ces gens là qui sont ainsi ? Je l’ignore. S’ils ne souffrent pas, ils font certainement souffrir et ils se trouvent à être les propres artisans des froideurs qu’ils rencontrent et du peu de sympathie qu’ils soulèvent dans la vie.

L’été se passa ainsi, triste, monotone pour cette famille peu heureuse où le chef ne trouvait pas un mot joyeux, une parole de louange pour relever les courages et amener sur les fronts un rayon même de bonheur, de contentement. L’automne ne se fit pas prier pour venir avec ses brises froides, sa chute des feuilles et ses départs d’oiseaux chanteurs, le plus bel ornement de nos bocages ombreux. Bientôt la navigation allait se fermer ; maints petits vaisseaux étaient venus chercher un abri pour l’hiver, soit dans l’anse, soit à l’île en face, et le Père H* lui-même, de retour d’un long voyage sur la côte nord, était venu hâvrer, pour toute la saison glacée, à l’endroit accoutumé.

Tout fut mis en ordre ; les voiles enlevées furent portées au village et remisées sûrement après avoir été saupoudrées d’un peu de chaux ; le gouvernail avarié très peu quitta ses gonds rouillés pour aller dormir à fonds de cale. La chambre se ferma à cadenas et maintenant l’hiver avec ses tempêtes, ses glaces et ses frimas pouvait venir, le petit bateau du Père H* n’avait rien à craindre. Il lui restait six mois de sommeil sur la plage.

Novembre venait de jeter sur les villages et les cités son douloureux appel à la prière, la prière pour les trépassés. La tourmente était sur le fleuve, elle était aussi dans les bois qu’elle dévastait de leurs branches sèches et des nids d’oiseaux.