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meurt, dit le vieillard ! Pas un muscle ne trahit une émotion subite chez le Père H*.

Eh ! bien, tu ne réponds pas ?

— Que veux-tu que je dise ?

— Mais c’est horrible, ça ; cours, au moins, le voir à l’hôpital ?

— À l’hôpital on y est mieux pour mourir qu’au fond de l’eau ou sur le pont d’un vaisseau qui sombre !

Le vieillard courba la tête, presque chagrin de l’attitude de ce vieux marinier endurci qui ne se sentait pas remué à la nouvelle que son fils se mourait.

— Mais s’il allait mourir sans te voir, risqua le vieillard ?

— Si mon fils me demande, j’irai le voir !

Et ce fut tout. Le Père H* regagnait son bateau, j’allais dire sa tannière.

Le lendemain il leva l’ancre et partit pour descendre au village, en bas de Québec. Le vent gonflait la voile et la mer se faisait belle et caressante. Elle avait des voix majestueuses ce jour-là ; et le vieux endurci de mon hameau songeait, assis à la barre du gouvernail. Sombre comme un ciel nuageux, l’œil sec et étrangement fixe, il semblait méditer un sujet bien grave. Le remords venait-il soulever en lui les flots amers d’une rancœur indescriptible ? La pensée de son fils mourant, mourant sans que son père fût là pour lui fermer les yeux et lui donner, au moins, un mot de prière pour le suprême départ, venait-elle l’assiéger de toute part.

L’égoïsme étroit commençait-il à battre de l’aile en son cœur, comme pour s’éloigner et faire place à des sentiments plus humains, plus élevés ? Mystère ! le vieux restait sombre, ne se laissant distraire par aucun bruit, aucune voix, rien de ces grandes et belles choses qui parlent au cœur et relèvent l’âme lorsque la mer se fait belle et chante amoureusement sous le gracieux souffle d’une brise tiède de juillet.

Le lendemain soir, à l’heure où le soleil se couche derrière les Laurentides qu’il embrasse et couvre de pourpre, le Père H* ancrait en face de son village. Il était plus impassible que jamais et sa pauvre vieille ne savait où donner de la tête. Taciturne comme toujours, il n’ouvrait la bouche que pour ordon-