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Faust, « l’épée au côté, l’aigrette au chapeau et l’escarcelle pleine. » Que sais-je encore ? Vous en savez bien d’autres et de plus savoureuses, se rattachant pour la plupart à notre région témiscouataine, que vous racontez en une langue colorée, sans vous presser, ne dédaignant pas de philosopher, le long de la route, de faire ressortir la foi de notre peuple, de dégager la leçon morale ou religieuse qu’inspirent les actes de vos personnages et les circonstances de leur vie.

Il convient de vous féliciter. Nos histoires et légendes font partie du merveilleux patrimoine moral que nous a légué le passé, et qu’il serait criminel d’enfouir, comme le serviteur infidèle, ses talents, afin de ne nous occuper que de bagatelles exotique. Notre devoir n’est-il pas, au contraire, de tirer le meilleur parti possible de ce fond qui manque le moins, dans toutes les sphères de notre activité spirituelle ? Pour ne parler, par exemple, que de la légende, il faut reconnaître que cette forme ou plus exactement cette déformation de l’histoire a dans une large mesure inspiré le génie français, au cours des âges. Ainsi la Geste de Théroulde ne se borne pas à immortaliser le fier et valeureux Roland, le sage Olivier et Turpin, « mouvante citadelle, » elle campe terre de France, mult dulz païs, comme le champion de Dieu et de l’Église, ses soldats, comme des Cid, avant la lettre, qui doivent tout sacrifier, fors l’honneur, pour la patrie. Et si comme l’a dit le poète des Rayons et des Ombres, le soleil explique les roses, » on peut prétendre que Roncevaux, contemplé sous cet angle, aide à comprendre l’esprit apostolique de la France, et les victoires de Bouvines, d’Austerlitz ou de la Marne… En tout cas, il suffit de la prosaïque réalité pour constater que lorsque le XIXe siècle réclama son chef d’œuvre, Henri de Bornier n’eut qu’à tendre la main vers l’épopée du moyen-âge pour en rapporter sa Fille de Roland, dont certains vers, et des plus beaux, ne sont que la réduction en français moderne du texte en langue d’oïl ; il suffit de faire appel à l’histoire contemporaine pour savoir que M. Joseph Bédier n’a pas jugé indigne de l’Académie et de lui-même de reprendre le thème médiéval de Tristan en Yseult, sur lequel le Maître de Bayreuth avait déjà, tout autant que sur Perceval et les Niebelungen, forgé sa gloire.