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ces liens multiples qui doivent unir les âmes ici-bas, surtout celles appelées à vivre dans un cercle commun, comme les parents, la mère et les enfants.

Ce n’était pas qu’il eût l’âme méchante ou le cœur endurci : sous l’écorce rugueuse du marin, les sentiments d’humanité, de bravoure, de force et de générosité se faisaient sentir parfois, mais c’était comme en un chaos indescriptible, un mélange sans nom ; et c’est peut-être à l’heure même où il accomplissait un acte généreux qu’il se montrait plus dur, plus brutal, plus impossible.

Sa nature était ainsi ; sa manière d’agir ayant pris racine dans toute son entité, il lui devenait impossible de s’amender. Rien ne pouvait l’émouvoir ; on aurait dit qu’au contact des choses tristes de la vie, dans la fréquentation quasi-journalière des misères de tout genre qui grouillent sous le soleil, il s’était durci toutes les fibres du cœur, se faisant ainsi une nouvelle nature.

Les dangers qu’on court sur la mer ; les naufrages vingt fois répétés qu’il avait subis durant sa longue carrière de marin ; la mort qu’il avait tant de fois vue de près, les tristes victimes des drames de la mer qu’il avait quelque jour rencontrées en route ; l’atroce gonflement des matelots noyés qu’il avait recueillis sur le fleuve, tout cela l’avait façonné à part, brisant les tendresses, faisant des ruines des chaudes illusions qui bercent tout homme encore croyant, encore sensible et toujours jeune de cette jeunesse du cœur qui fait que l’on vit vieux.

Le Père H* avait des enfants pourtant, des enfants qui le craignaient plus qu’ils ne l’aimaient, et cette éclatante manifestation de la crainte de ses enfants n’était pas de nature à mettre en l’âme du vieux un rayon de soleil, un brin de joie et de félicité. Il s’en voulait presque de cette aversion des enfants ; il voulait changer, leur sourire d’un mot pour les retenir parfois autour de lui et ce mot attendri, dans le cœur peut-être, n’était pas encore rendu aux lèvres qu’il avait l’accent bref, concis, froid de tous les jours.

Il souffrait pourtant mais il ne s’en rendait pas bien compte, et colère contre lui-même, il épuisait sa mauvaise humeur sur tout, sur tous et sur toute chose. Ceux qui le con-