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CHAPITRE XIII

LE VIEUX MARIN


C’était un être étrange et fièrement trempé que ce vieux marin de mon village qui s’appelait le Père H*. Ces hommes de la mer ont un aspect particulier, des manières à part, un accent à nul autre pareil. Massif, l’œil ferme et le jarret solide, le Père H* avait gardé dans sa démarche, un peu de ce roulis et de ce tangage du navire qu’ont toujours les vieux loups de mer, et il ne faisait pas bon de le plaisanter sur le métier.

Ces gens qui vont sur l’eau, et regardent la mer les yeux remplis d’une douce volupté ; ces êtres habitués dès leur plus jeune âge à braver les périls, à rire du danger et n’avoir plus souci des désastres lamentables dont les voies navigables sont les tristes théâtres, portent sur leur visage où le hâle a mis son empreinte, un cachet de virilité et de force morale qui en impose. On les reconnaît à leur accent bref, à leurs paroles concises qui tiennent du commandement.

Le Père H* était de ceux-là. Ferme et tenace, peu loquace et généreux par nature d’une générosité de marin, il ressemblait un peu, par sa rigidité quasi draconienne, à ces descendants des huguenots qui formaient une secte à part par des habitudes sévères, un maintien réservé, une morgue plus que britannique et une démarche solennelle quoique caractéristique.

Ce vieux loup de mer, ce roi des caboteurs depuis Québec jusqu’en bas du Bic, n’avait jamais, que je sache, donné signe de tendresse, si ce n’est à une certaine époque de l’année : au printemps. Oh ! le printemps, pour lui, voyez-vous, c’était la délivrance, c’était le grand air, l’espace, l’immensité, la liberté. Pendant les six longs mois de l’hiver, il portait les chaînes de la captivité. Oui, c’était pour lui pis que traîner un boulet de galérien que de se voir ainsi remisé entre les quatre murs de sa demeure.

Il avait des haut-le-cœur dans sa retraite forcée, et, d’une