Page:Gauvreau - Au bord du Saint-Laurent, 1923.djvu/66

Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

CHAPITRE XI

LE SCAPULAIRE DE LA MORTE



Elle était bien jeune pour mourir ; mais la mort, cette terrible pourvoyeuse qui ne se fatigue jamais, l’avait marquée à l’avance de son sceau fatal… La fièvre, une de celles qui ne pardonnent pas, la prit un bon soir, comme le soleil allait se coucher, ensanglanté derrière les Laurentides ; et le lendemain matin, son regard voilé pour toujours, ne vit pas reparaître à l’horizon couleur d’or l’éternel voyageur de la route des cieux. Son agonie avait été douce ; le dernier soupir, en s’échappant de sa poitrine amaigrie, avait laissé entr’ouvertes ses lèvres décolorées, qui paraissaient encore toutes chaudes des doux noms de Jésus et de Marie, cette suprême et dernière consolation des mourants ; des mains aimées avaient fermé ses yeux fixement ouverts sur le modeste Christ, appendu à la muraille d’en face. Comme la maladie était contagieuse, on l’ensevelit au matin, et par un soleil ardent dans un ciel sans nuage, le corps de la jeune fille de seize ans prit le chemin du cimetière. La vieille seule à la soigner avec le dévouement d’un autre âge suivait péniblement le cortège funèbre : elle voulait l’accompagner jusqu’à sa dernière demeure.

Aux fenêtres des habitations de rares visages peinés apparaissaient par intervalle. Ici un brave homme ôtait son chapeau en se signant ; plus loin une main calleuse de vieille paysanne, essuyait une larme qui tremblait avant de tomber, et le cercueil de bois blanchi, arrivait ainsi au cimetière. La prière des morts, un peu d’eau bénite, une poignée de sable, et seuls, le renflement du sol et la terre fraîchement remuée, annonçaient qu’une victime dormait son dernier sommeil au champ du repos :