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Soudain le vent changea, dit l’histoire, et la banquise parut s’arrêter dans son mouvement d’aller. Elle semblait obéir à une force merveilleuse ; une main inconnue la dirigeait maintenant vers terre. Les naufragés ne le voyaient pas clairement, mais ils le sentaient pour ainsi dire. Un cri de joie, immense, un cri d’espérance profonde emplit les poumons de ces hommes que la crainte terrassait tout à l’heure ; et bientôt, l’illusion n’était plus permise en face de la réalité, et la banquise, dirigée sûrement, venait heurter une pointe du rocher.

Ce rocher était ce que l’on appelle les petites Razades, entre les Trois-Pistoles et Saint-Simon. À neuf heures du soir, tout le monde était sauvé, et le délire était partout, et les prières de reconnaissance montaient de toutes les demeures vers le Très-Haut, qui avait dirigé la banquise et permis que tout ce monde ne se perdît pas, entraîné bien loin, ayant eu le sort des débris de loups-marins, des traines et des vieux canots retrouvés jusqu’à Métis, Matane et Rimouski, à plusieurs lieues en bas de Trois-Pistoles.

Pas un seul manquait à l’appel : tous avaient regagné terre, et les craintes de deuil lamentable se dissipèrent comme par enchantement.

Le dimanche suivant, c’était le grand jour de Noël, l’église de la Pointe était remplie. Il y avait là des gens d’« en haut » qu’on n’avait pas vus à l’église depuis plusieurs années. Tous priaient. On sentait comme un souffle religieux d’une sainte joie passer sur toutes ces têtes inclinées que la mort avait failli toucher de son aile, et le murmure des lèvres disait la prière ardente des naufragés, et de leurs amis et de leurs parents, tous priant ensemble pour remercier Dieu de l’heureux sauvetage des naufragés de l’avant-veille, les grands miracles de la banquise échouée, contre tout espoir, sur une roche.

Le curé monta en chair, et des larmes dans la voix, il rappela à l’assistance les angoisses de tous, les leurs, comme les siennes, et les invita à accomplir le vœu qu’il avait fait pour eux : une communion générale.

Le lendemain pas un ne manquait à l’appel au divin rendez-vous de l’Eucharistie. Et, quelques jours après, une énorme croix de bois était bénite et plantée là où elle est encore de nos