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« Il prit envie au seigneur Rioux, et aux autres gens des Trois-Pistoles de faire prendre le portrait du Père Ambroise. Le Père ne s’en souciait pas trop ; comme on lui dit que ça ferait plaisir à tout le monde, il consentit. Mais dans ce temps-là, ce n’était pas des petits portraits dans de petites boîtes comme aujourd’hui, c’étaient des portraits « faits de peinture » et grand comme on voulait.

Quand le portrait fut fini, on le mit dans la chambre de compagnie et les gens vinrent le voir ; chacun s’extasiait et on trouvait le portrait bien ressemblant. Il avait sa robe, son bréviaire sous le bras, en un mot tout y était et on ne pouvait pas s’y méprendre.

Pour moi, dit le Père Ambroise quand le peintre fut parti, je trouve que je ressemble à un noyé sur ce portrait.

La ressemblance, malheureusement ne fut que trop frappante.

Le pauvre Père, quoiqu’accoutumé à envisager la mort sous des formes multiples, ne songeait pas alors qu’un jour il donnerait raison à ses paroles. Et pourtant, qui sait si la providence ne lui laissa pas soulever pour un moment le voile de l’avenir afin qu’il pût y entrevoir le sort pénible qui l’attendait au terme de sa vie.

Comme le Père LaBrosse, de sainte mémoire, celui qui devait le remplacer dans ses chères missions, le Père Ambroise eût peut-être la vision de son heure prochaine.

Madame Rioux avait bien raison de s’écrier : « le Père Ambroise est mort. Il l’avait bien dit que son portrait était le portrait d’un noyé. Nous perdons gros, mais il y a un saint de plus au ciel. »