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sur ces bords afin de fuir le monde pervers et méchant, et se rapprocher davantage du Grand Maître qui commande à la vie et à la mort.

Il s’était construit une espèce d’ermitage en plein bois, à une lieue de toute habitation, et semblait vivre dans la pratique des mortifications et de la prière.

Ses vêtements quasi en lambeaux gardaient la forme de ceux des anachorètes. Sa figure grave et pleine de recueillement, son maintien plein de réserve et d’une religiosité touchante, rappelaient le souvenir de la vie ascétique. À son langage correct, au ton de sa conversation on devinait l’homme de bonne famille que de fortes études avaient façonné.

Il vivait là paisible, partageant le temps entre le travail manuel et la prière. Les pratiques de dévotion finies, il allait au bois se faire une provision de fruits sauvages, amassait les branches mortes pour le feu de sa cabane, ou bien il mettait tout en ordre dans sa cellule et réparait de son vêtement journalier les irréparables brèches que la vétusté y entretenait.

Que de fois les gens de l’endroit l’ont vu traîner des pièces de bois énormes, qu’il amassait devant la porte de son ermitage. Combien de fois aussi à l’heure où le jour tombe, à cet instant solennel où l’ombre du soir va descendre partout, couvrant de son voile léger les fleurs, les bois, les eaux, les plaines, les monts et les villages, combien de fois ne l’ont-ils pas entendu entonner un chant monotone et plaintif, espèce de psalmodie religieuse, qui prenait une intonation parfois douce et parfois lamentable selon qu’elle disait les joies de là-haut ou les tristesses d’ici-bas.

Lorsque la faim frappait à sa porte il prenait son bâton, sortait de la forêt épaisse et descendait chez les habitants au loin pour y demander du pain et des légumes, seuls aliments dont il usait avec l’eau de la rivière pour toute boisson. On le recevait partout avec autant de curiosité que de respect, et les provisions pleuvaient dans le vaste sac qu’il portait sur son dos. Il remerciait avec affabilité, et reprenait le chemin qui mène à son logis.

S’il rencontrait alors quelques passants, il se jetait à genoux en se prosternant jusqu’à terre, lui baisait les pieds en