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Monsieur Taché ajoute qu’il y a dans ce passage des obscurités et des confusions non moins que des méprises que les traditions conservées ont permis depuis de corriger puis il nous fait le récit émouvant du massacre à l’îlet du Bic, avec une facilité étonnante qu’on admire, prodiguant partout les plus riches couleurs du style et conservant jusqu’à la fin du récit cette originalité d’expression qui est le propre du véritable écrivain canadien, conservant la couleur locale, cette senteur du terroir laurentien qu’il convient de ne perdre à aucun prix.

Une chose me frappe étrangement dans ce récit appuyé sur un fond historique : c’est que M. Taché, connaissant le fleuve Saint-Laurent mieux que personne, ait pu se laisser tromper par le texte si clair, si précis de Jacques Cartier.

Jacques Cartier nous montre le grand sachem de Stadaconé (Québec) lui annonçant que deux années avant l’arrivée des visages pâles, les Toudamens faisaient une guerre acharnée à sa tribu, voire même qu’ils avaient tué un grand nombre des siens dans une « île qui est le travers du Saguenay » pendant qu’ils dormaient dans un fort qu’ils avaient fait.

Quelle peut bien être cette île en travers du Saguenay, si ce n’est la grande et luxuriante Île-Verte dont j’ai déjà raconté l’histoire en 1887-88 ?

En effet l’Île-Verte longue de trois lieues, forme véritablement le travers du Saguenay qui se décharge en face, portant jusqu’aux bords de l’île ses courants nombreux, véritables dalles liquides qui font parfois le désespoir des marins.

Jacques Cartier ne pouvait avoir l’idée de l’îlet du Bic en racontant l’histoire du chef de Stadaconé, pour la bonne raison que le Bic est loin de l’Île-Verte et que l’îlet au massacre n’est pas le travers du Saguenay. S’il eut voulu mentionner les îlets du Bic, Jacques Cartier n’aurait pas été en peine pour leur fixer une situation telle qu’il aurait été impossible de s’y méprendre.

L’Isle-Verte a été de tout temps un poste d’observation, un endroit recherché ; espèce de rendez-vous de pirates ou de guerriers à l’affut. Admirablement située près de la côte du Sud, ayant vue sur tout le fleuve où rien ne pouvait arriver d’un peu inaccoutumé sans que cela paraisse aussitôt aux regards, ayant en face Tadoussac et le Saguenay où les français com-