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LE PÈRE ALBANEL

et ses rayons obliques adoucissent un peu l’âpreté de la brise qui souffle faiblement ; à la porte d’une des cabanes d’écorce, un homme dans la force de l’âge est assis, les yeux rivés sur Tadoussac, où vivent les français et la Robe Noire. Rien, dit-il. Le Grand Esprit aurait-il oublié ses enfants de la forêt qui l’adorent à leur réveil comme à leur coucher ? Pourtant la Robe Noire nous a dit un jour : « Mes enfants, le Grand Esprit qui règne au-dessus de nos têtes est Tout-Puissant et plein de bonté, quand les misères et les épreuves viendront, espérez en lui ; quand bien même les lunes se renouvelleraient, que la forêt se dépouillerait de son feuillage pour reprendre son vert manteau, espérez encore, espérez toujours. » Voilà que nous espérons depuis longtemps et rien encore. Mais attendons ! — et il reprit sa marche. Pendant qu’il parcourait nerveusement l’espace étroit en face de sa hutte, un cri parti de la cabane voisine lui fit relever la tête. Frère, vois-tu là-bas, dans ce sillon, un point noir ? Oui ! ce sont eux, c’est lui ! Que le Grand Manitou soit, béni ! Et il disparut sous la tente, le regard joyeux, le front plus serein.

Voici ce qui s’était passé. À la fin de novembre 1670, des Français de Tadoussac, profitant d’une belle journée où le fleuve était libre de glace, étaient venus sur l’Île-Verte pour y traiter avec les sauvages, qui avaient coutume de s’y trouver. Ils n’ont pas plutôt franchi le seuil d’une des cabanes éparses sur la pointe qu’un cri de joie s’échappe involontairement de leur poitrine oppressée. Hélas ! sous leurs yeux, des squelettes vivants se tordent sur la dure, en proie aux horribles souffrances d’une maladie épidémique. Ces pauvres malheureux tournent vers les visiteurs des regards suppliants qui semblent dire : soulagez-nous ! soulagez-nous ! Les Français soulagèrent ces pauvres victimes et partirent en leur promettant de leur envoyer le missionnaire qui se trouvait alors à Tadoussac au milieu de ses ouailles, français et sauvages. Ils partirent donc, laissant l’espérance à ces déshérités de la nature. Longue fut leur attente ! Mais le père avait dit de compter sur la Providence et de ne jamais désespérer, et ils gardaient l’espoir de se réjouir bientôt de l’arrivée de la Robe Noire au milieu d’eux. Enfin, après de longues journées pleines de privations et de mi-