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arrêtés dix jours à l’Isle-Verte, pendant lesquels j’ai administré les cérémonies du baptême à six enfants de divers âges dans une petite chapelle qu’on y dressa. J’ai baptisé avant mon départ, un capitaine Papinachois qui savait ses prières et que je trouvai si bien disposé par ces grâces toutes particulières dont Dieu l’avait prévenu, que je crus être obligé de ne plus différer, nous voyant dans le danger des Iroquois ; on lui donna le nom de François-Xavier.

Ce bon Néophyte m’a raconté qu’étant gravement malade dans les bois, Dieu lui avait fait voir si sensiblement les feux de l’enfer où ceux qui ne prient pas brûleront éternellement, et qu’ensuite il lui avait si bien montré le chemin du Paradis, qu’il trouvait parmi les chrétiens, que depuis ce temps-là il avait toujours prié et qu’il avait en horreur les invocations du démon, que ses compagnons faisaient dans son pays. En vérité, Dieu l’a doué d’un bon jugement et d’un bon naturel. Il m’a protesté toujours qu’il ne quittera jamais la prière. Il a sept enfants mâles, tous baptisés ; sa femme l’est aussi, il y a longtemps.

Avant que de quitter ce premier poste, Dieu voulut avoir les prémices du troupeau qu’il me donnait en garde, ayant appelé au ciel une petite fille de mon hôte, que le Père Gabriel avait baptisée. Cette mort affligea beaucoup le père et la mère et toute la parenté. Dieu les consola dans leur perte par la ferme croyance qu’ils ont qu’elle est au ciel : ils l’invoquent tous les jours afin qu’elle les aide auprès de Dieu. »

Qu’on se figure ce pauvre missionnaire offrant le sacrifice de la messe sous une humble chapelle, au bord des eaux. Du haut des falaises vous avez à vos pieds le fleuve géant qui roule ses flots amers, là-bas, à l’horizon, les Laurentides et en face Tadoussac où reluit son humble clocher. C’est l’automne ; les bois n’ont plus que des voix tristes et lugubres : c’est le mois des morts. Partout la vie semble s’éteindre sous un souffle mortel. Mais franchissez le seuil de la pauvre tente où le missionnaire officie. L’air est attiédi par les quelques flambeaux d’écorce et de résine qui brillent près de l’autel brut ; des soupirs, des mots de prières s’élèvent de cette assemblée de sauvages naguère farouches, aujourd’hui humbles et soumis comme