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ques poules ; puis il se mit à défricher la terre autour de son habitation ; partageant son temps entre la prière et le travail, il ne venait au village, à marée basse, que lors de l’affluence de colons à l’humble chapelle pour y faire la mission, avec le bon Père Missionnaire, et jamais un mot d’aigreur, jamais une parole vive, jamais le moindre indice d’un retour attristé sur un passé qui semblait mort pour lui. Sa bouche semblait scellée sur le temps écoulé jusqu’à son arrivée à Rimouski, personne ne le surprit à en parler ou même à y faire allusion.

En 1759, c’était l’heure attristante de l’invasion anglaise ; nous allions être abandonnés, être obligés de nous soumettre à la loi du plus fort, qui n’est pas toujours la plus juste ni la meilleure. Les paroisses d’en bas de Québec eurent beaucoup à souffrir des incursions et des déprédations des soldats anglais ; Rimouski fut le premier point ils débarquèrent. Incapables de se défendre contre le grand nombre, les colons s’étaient enfuis dans les bois avec leurs familles et ne revenaient au bord du fleuve, que pour surveiller le mouvement des navires de guerre anglais.

Seul l’hermite ne changea rien de sa vie accoutumée ; indifférent à tout, il ne craignait personne ; enfermé chez lui, il ne semblait plus vivre de la vie du dehors ; les anglais débarquèrent sur l’île, ils se rembarquèrent sans molester personne.

L’humble serviteur de Dieu fut épargné cette fois, grâce sans doute à une permission de là-haut.

Il y avait trente-neuf ans que Toussaint Cartier menait ainsi une vie d’anachorète, édifiant tous ceux qui connaissaient les privations qu’il endurait volontairement, et la vie de sainteté qu’il menait, lorsque le 29 janvier 1767 le jeune Charles Lepage, le fils du seigneur, âgé de 14 ans, remarqua en sortant de la maison de son père, que la cheminée de l’hermite sur l’île ne donnait pas de fumée. Le père informé du fait, voyant qu’il faisait un froid assez intense et craignant qu’il ne fût arrivé quelque malheur au pauvre hermite, envoya son fils avec un compagnon en voiture s’enquérir de ce qui se passait là-bas.

Quelles ne furent pas leur surprise et leur désolation en voyant le pauvre solitaire étendu sans connaissance sur le plancher, et près de lui, lui léchant les mains, un petit chien, seul