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sions, les heures d’enivrement, les désirs de parvenir, la vie à outrance en toute chose, tous ces ennemis qui torturent, mutilent, scalpent et annihilent tout aussi sûrement une nation, que le couteau du Peau-Rouge des premiers temps de la colonie.

Bien plus, les belles choses du passé, les annales de notre histoire si belle, immense épopée qui a tenté les efforts de plus d’un poète, nos légendes émouvantes où les lutins, la chasse-galerie, les feux-follets et les revenants jouent un rôle si impressionnant et plein d’attirance, nous les avons négligées, mises à l’arrière-plan, couvertes du linceul de l’oubli, pour nous plonger dans la lecture des romans à sensation.

Je ne voudrais pas tourner en moraliste dans l’étude qui nous occupe ; mais je ne puis m’empêcher de constater un fait, c’est que le roman — dans la pire acception du mot — prend une trop large part dans la vie d’un grand nombre. Arsène Houssaye écrivait un jour : « notre siècle est arrivé sans foi en lui-même, presqu’à la fin de sa course. Le moment est venu pour l’art et la littérature de jeter un regard en arrière, de s’interroger la conscience et de se demander : Où allons-nous ?

Et Faucher de St-Maurice, le doux littérateur, le poète soldat, qui a fait tressaillir nos âmes de viriles émotions, ajoutait : « Où allons-nous en effet, emportés sur ce flot terrible et grondeur de romans, de contes, de nouvelles que la librairie fait déborder depuis soixante-quatorze ans ? Où nous mènent ces écoles de beaux penseurs, fantaisistes échevelés qui, ne pouvant se tenir dans un juste milieu, nous montrent d’une main la vie réelle à travers un faux prisme, faisant rayonner sur elle, des couleurs chatoyantes qu’elle n’a pas, et de l’autre disséquant froidement, — à grands coups de scalpel, muscles par muscles, lambeaux par lambeaux, toutes les monstruosités de la nature humaine ?

« On ne saurait s’imaginer combien ces productions indigestes, incrustent au fond de l’âme, un acide qui corrode et ronge les inspirations les plus pures. Elles donnent une fausse direction au jugement, ouvrent une carrière trop vaste à l’imagination et à l’enthousiasme — ces compagnes folles de toute jeunesse — font pencher mélancoliquement l’âme vers le mal, la jettent petit à petit dans la dégradation et conduisent la plu-