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autre… c’est de la démence, vous le voyez bien !

1er rabbin. Alors, ne te laisse pas arrêter par de vaines menaces… accomplis sans peur le devoir qui te fait retourner dans une ville que la douleur t’avait rendue odieuse !

Nathan, à part. Seigneur ! Seigneur ! quelles angoisses ! d’un côté, le déshonneur ! de l’autre, le désespoir ! Ma vue s’éteint… mes genoux chancellent… ma tête s’égare…

1er rabbin. Allons ! n’hésite pas davantage…

Ben Aïssa. Prends garde !

1er rabbin. N’hésite pas, ou nous croirons que cet homme a dit vrai ! et nous dénoncerons ton mensonge devant la synagogue, qui rayera ton nom de la liste des rabbins !

Nathan, après un moment de lutte avec lui-même. Dieu de mes pères ! encore ce sacrifice à ta gloire !

Il fait quelques pas en avant.

Ben Aïssa. Qu’elle meure donc !

Il tire un coup de pistole ; tout le monde s’arrête en jetant un cri ; on voit un corps de femme tomber dans le ravin.

Nathan, avec explosion. Ah ! j’ai tué mon enfant ! ma Léa, ma fille, c’était elle !

Tout le monde. Sa fille !

Nathan. Que m’importe à présent de le dire ?… je voudrais me taire que je ne le pourrais plus… Je sens éclater en moi comme une voix nouvelle, puissante, irrésistible… c’est mon cœur qui s’ouvre et qui crie !… Mon Dieu, je me croyais fort, je n’étais que barbare ! punissez-moi ! je suis un assassin !

Il tombe anéanti entre les bras des Rabbins et de ses Serviteurs.

Ben Aïssa. d’une voix sombre. Allons, point de remords… si je l’ai perdue, au moins elle ne sera pas à un autre ! (À Nathan.) Juif, je vais t’attendre au pied du tribunal… ose venir y dénoncer ton crime : je prouverai que Maurice d’Harvières en a été le complice, et tu n’auras sauvé ni lui ni ta fille !

Il va pour sortir.




Scène VII.


Les Mêmes, MAURICE, LÉA, Chasseurs d’Afrique ; puis BOU TALEB, suivi de Kabyles.

Maurice, à Ben Aïsa. Tu te trompes, Ben Aïssa ! nous voici tous deux !

Tout le monde, avec étonnement. Léa !

Ben Aïssa recule terrifié.

Nathan, s’élançant vers Léa et lui ouvrant ses bras.[1] Ah ! elle vit ! elle vit !

Léa. Mon père !…

ben aïssa, d’un air égaré. Oh ! ce n’est pas elle… mes yeux m’abusent…

Nathan. Oui, ton père… appelle-moi ton père… Que m’importe ta faute ? je ne m’en souviens plus, j’ai tout oublié, tout… si ce n’est que tu es ma fille et que rien, dans ce monde, ne doit me séparer de toi !…

Ben Aïssa, remontant tout à coup vers le fond. Mais qui donc est tombé dlans le gouffre ?

Maurice, l’arrêtant. N’essaye pas de fuir… tu es mon prisonnier… car tes frères eux-mêmes, en venant demander l’aman, ont livré ta tête pour rançon, et le bras qui t’a frappé, quel qu il soit, n’a fait que devancer celui de la justice !

Ben Aïssa, essayant d’écarter les Chasseurs qui l’entourent Laissez-moi… laissez-moi… je veux savoir…

Bou Taleb, montant du fond. Tu veux savoir qui a été jeté à l’abîme ? Regarde !

Il lui montre des Kabyles qui le suivent portant une femme inanimée dans leurs bras.

Ben Aïssa, avec désespoir.[2] Ma sœur ! ma sœur !… oh ! je suis maudit !…

Il arrache l’appareil qui couvrait sa blessure, et tombe près du corps de Kadidja. En reconnaissant la jeune Kabyle, Léa s’agenouille devant elle ; Maurice détourne les yeux avec tristesse ; Nathan lui prend la main. — La toile tombe.



FIN


Nota. — On peut monter la pièce sans le divertissement du 3e acte, en passant à la scène IX, après ces mots de Bou Taleb : Allons, chassons ces idées funestes!



Paris. — Imprimerie de Dondey-Dupré, rue Saint-Louis, 40, au Marais.
  1. Ben Aïssa, Nathan, Léa, Maurice.
  2. Ben Aïssa, Kadidja, Bou Taleb, Léa, Maurice, Nathan.