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ma mère… si elle eût vécu, vous ne lui eussiez pas refusé mon pardon.

Nathan, s’efforçant de paraître calme. N’essayez pas de me fléchir, ce serait inutile…

Léa. Oh ! du moins, laissez-moi couvrir de larmes vos mains vénérables puisque vous ne voulez pas que je pleure dans vos bras… Vous viendrez, n’est-ce pas ? vous viendrez en France vous asseoir à notre foyer ? la maison solitaire est si triste !

Nathan, à part. Mon Dieu ! qu’elle ne voie pas mon trouble !

Léa. Vous viendrez… pas maintenant, plus tard, quand voire colère sera passée… oh ! nous vous aimerons tant !… Votre vieillesse sera entourée de soins et de respects ! Donnez-moi cet espoir à emporter dans ma nouvelle patrie… Il me faut cette idée pour que je puisse encore être heureuse !

Nathan, se dégageant vivement. Ah ! c’est trop ! ne me retiens pas davantage… (À part.) Oui… oui, finissons-en… point de faiblesse !… (Haut.) Attends ici… qu’on ne te voie pas sur le chemin… Je vais faire avancer les chevaux.

Léa, d’une voix suppliante. Mon père !… Nathan lui fait signe de rester, et s’éloigne.




Scène III.


LÉA, seule.

Pas un mot de pardon, pas une parole de tendresse… et il me laisse seule ! Oh ! j’ai peur parmi ces tombes !… je cherche en vain où fixer mes yeux… partout i image du deuil, partout la mort ! (Elle ne trouve près de deux tombes isolées où s’arrêtent ses regards.) Dieu ! sur ces pierres, qu ai-je lu ?… Agar… Rébecca… les deux plus chères compagnes démon enfance !… Hélas ! pauvres amies, pauvres sœurs d’infortune, elles aussi ont aimé des Chrétiens… et elles ont été retranchées de la tribu, et leur épitaphe est menteuse comme la mienne… Elles vivent, mortes pour leur frères ! quand elles passent parla ville, chacun se détourne ou semble ne pas les reconnaître ! Et moi, mon sort serait encore plus affreux… Tout le monde fuirait à mon approche ; la terreur publique me renverrait au sépulcre ! Oh ! Maurice me refera une existence, une patrie, une famille ! il m’aime, et je ne regrette rien… excepté le sol où tu reposes, douce amie inconnue, ô ma mère ! toi qui m’aurais pardonné !… Que du moins quelques fleurs te rappellent mes adieux… Hélas ! ce sont les dernières que je pourrai t’offrir !

Elle cueille des fleurs entre les tombeaux, et disparaît de temps à autre.




Scène IV.


MAURICE, LÉA.


Maurice, entrant précipitamment par le fond, un yataghan à la main. Ils ont perdu mes traces et sans doute ils vont cesser leurs poursuites… (Regardant autour de lui.) Étrange hasard qui m’amène fuyant jusque dans ce lieu sinistre… C’est ici qu’elle repose… sous quelqu’une de ces pierres… Oh ! si je pouvais découvrir la place où elle est maintenant étendue pâle et glacée !… (Il cherche des yeux ; Léa reparaît.) Qu’ai-je vu ?… là-bas, cette forme blanche qui se glisse comme une ombre… malgré moi, mon cœur bat à briser ma poitrine… (Léa se détourne et montre son visage éclairé par la lune. Maurice jette un cri étouffé.) Ciel ! la fièvre a-t-elle troublé mon esprit ? le chagrin m’a-t il conduit à la folie ? c’est elle ! c’est Léa !… Oh ! si tu n’es qu’une vision de mon âme, spectre adoré, ne t’évanouis pas trop vite ! Laisse-moi te contempler quelques instants encore !

Léa, qui écoute depuis un instant. Ô mon Dieu ! cette voix…

Maurice. Est-ce mon amour qui t’évoque et te faire reparaître sur la terre, pour me dire que tu m’attends au ciel ?… Oh ! réponds-moi, ombre de celle que j’ai tant aimée !

Léa, le reconnaissant et se jetant dans ses bras. Maurice !

Maurice. Léa ! vivante !

Léa. Seigneur ! vous me l’envoyez !

Maurice. Oui, c’est elle ! c’est bien elle !… Léa ! toi que j’ai pleurée de toutes mes larmes le ciel, touché de mon désespoir, a donc voulu te rendre à mon amour ?… Oh ! laisse-moi te regarder, mettre la main sur ton cœur, te serrer dans mes bras, me convaincre de ce bonheur, que je n’ose croire réel !…

Léa. Non, ce n’est point un rêve… Maurice, je vis pour t’aimer !

Maurice. Mon Dieu ! la force que j’ai trouvée contre la douleur, faites que je la trouve pour supporter la joie !… Mais comment, par quel mystère étrange se peut-il que je te retrouve vivante, quand je t’ai vue couchée sur Je lit funèbre, entourée de tes compagnes en larmes ? quand j’ai moi-même pressé ta main glacée, ta main qui ne répondait plus à l’étreinte de la mienne ?

Léa. C’était un affreux sommeil, mais un sommeil libérateur !… Je dois être morte pour tous, excepté pour toi… ainsi l’a voulu mon père en apprenant notre amour et mon abjuration… mon père, moins cruel encore qu’il n’aurait pu l’être, à qui tu vas pouvoir