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manière antique. Chez lui, tout est à sa place, tout s’enmanche, tout porte ; les mouvements partent du centre d’action, se déduisent, s’enveloppent avec une suite et une logique admirables. Ce peintre, que beaucoup regardent comme un éblouissant décorateur, s’est préoccupé, plus que pas un, du dessin général. Qui que ce soit, pas même Michel-Ange, pas même Raphaël, ne tracerait d’une main plus savante le grand trait qui circonscrit ses figures. Son modelé, pour n’être pas minutieux, ne laisse rien à désirer, et ses détails, si sobres et si larges, montrent une habileté consommée, qui connaît la puissance d’une touche mise à sa place et ne se trompe jamais. Ce qu’on ne saurait trop louer dans Paul Véronèse, c’est la justesse et le sentiment de relation. Ce merveilleux coloriste n’emploie ni rouges, ni bleus, ni verts, ni jaunes vifs. Ses tons qui, pris à part, seraient gris ou neutres, acquièrent par la juxtaposition une puissance et un éclat surprenants. Il sait d’avance la part de chacun dans l’effet général, et ne les pose qu’avec une certitude, pour ainsi dire, mathématique : une nuance ne prend de valeur que par le voisinage d’une autre, et les localités se balancent entre elles avec une harmonie sans égale. Et tout cela est obtenu sans sacrifices apparents. Une lumière