Page:Gautier - Zigzags.djvu/62

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 59 —

et de grandes précautions pour garder leur incognito, qui écriraient volontiers au retour sur leur chapeau :

C’est moi qui suis Guillot, gardien de ce troupeau, et qu’on ne reconnaîtrait pas plus pour cela !

Somme toute, l’impression d’un voyage est douloureuse. On voit combien facilement l’on se passe de gens que l’on croyait le plus aimer, et comme de cette absence temporaire à l’absence absolue la transition serait simple et naturelle ; on sent instinctivement que le coin que l’on occupait dans quelques existences s’est déjà rempli, ou va l’être. On comprend qu’on peut vivre ailleurs que dans son pays, sa ville, sa rue, avec d’autres que ses parents, ses amis, son chien et sa maîtresse ; et je suis persuadé que c’est une pensée mauvaise. La fable du juif errant est plus profonde qu’on ne le pense. Rien n’est plus triste que de voir tous les jours des choses qu’on ne reverra plus.

Un homme qui voyage beaucoup est nécessairement un égoïste.