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— J’avoue que rien au monde ne me déplaît comme de donner à une inconnue, faite de façon à vous faire estimer heureux de ne l’avoir jamais rencontrée, la seule chose que je puisse manger d’un poulet, c’est-à-dire l’aile et le blanc. Fritz, qui vit ma douleur, tourna habilement la difficulté, en prenant au passage de l’assiette tout ce que le poulet pouvait avoir d’ailes. Par cette manœuvre savante, je ne pus offrir à la dame ni aile ni blanc, Fritz les ayant confisqués d’autorité ; je pris par contenance un petit morceau de peau grillée, et la dame désappointée n’eut pour sa part qu’une cuisse filandreuse et sèche comme elle-même : puis, le magnanime Fritz, feignant d’avoir eu plus grands yeux que grand ventre, me repassa la moitié de sa capture : de cette façon je mangeai l’aile, et je n’eus pas l’air malhonnête, et le beau sexe de la diligence put garder une opinion favorable de moi.

Voilà de ces actions dont on se souvient jusqu’au monument, et qui forment des amitiés indissolubles : Oreste et Pylade, Énée et Achate,