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Les marchands de vins, si communs à Paris, sont remplacés à Londres par les distillateurs de gin et autres liqueurs fortes. Les boutiques de gin sont fort élégantes, ornées de cuivres, de dorures, et forment un contraste pénible par leur luxe avec la misère et le délabrement de la classe qui les fréquente. Les portes sont creusées à hauteur d’homme par les mains calleuses qui sans relâche en poussent les battants. Je vis entrer dans une de ces boutiques une vieille pauvresse qui est restée dans ma mémoire comme un souvenir de cauchemar.

J’ai étudié de près la gueuserie espagnole, et j’ai souvent été accosté par les sorcières qui ont posé pour les caprices de Goya. J’ai enjambé le soir les tas de mendiants qui dormaient à Grenade sur les marches du théâtre ; j’ai donné l’aumône à des Ribeira et à des Murillo sans cadre, enveloppés dans des guenilles où tout ce qui n’était pas trou était tache ; j’ai erré dans les repaires de l’Albaycin, et suivi le chemin de Monte-Sagrado, où les gitanos creusent leurs tanières dans le roc sous les racines