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Si nous décrivions d’une manière détaillée ces deux immenses fresques, vous seriez assurément charmé de l’invention ingénieuse, du savoir profond, de la critique sagace de l’artiste ; cela ferait un morceau digne de la symbolique de Creuzer. Les mystères des vieilles origines y sont pénétrés et la science y dit son dernier mot. Si encore nous vous les faisions voir dans ces belles gravures allemandes, aux traits relevés d’ombres légères, d’un burin net et précis comme celui d’Albert Durer et d’une pâleur harmonieuse à l’œil, vous admireriez l’ordonnance de la composition équilibrée avec tant d’art, les groupes reliés heureusement les uns aux autres, les épisodes ingénieux, le choix raisonné des attributs, la signifiance de chaque chose ; vous pourriez même y trouver de la grandeur de style, une tournure magistrale, de beaux jets de draperie, des attitudes fières, des types caractérisés, des audaces de muscles à la Michel-Ange, et une certaine sauvagerie germanique de haute saveur. Vous seriez frappé de cette habitude des grandes choses, de cette vaste conception, de cette conduite de l’idée qui manque en général à nos peintres français, et vous seriez, sur Cornélius, presque de l’avis des Allemands ; mais devant l’œuvre même l’impression est toute différente.

Nous le savons, la fresque, même pratiquée par les maîtres italiens, si habiles pourtant dans la technique de leur art, n’a pas les séductions de l’huile. Les yeux ont besoin de s’habituer à ces tons brusques et mats pour en démêler les beautés. Bien des gens qui ne le disent pas, car rien n’est plus rare que d’avoir le courage de son sentiment ou de son opinion, trouvent affreuses les fresques du Vatican et de la Sixtine ; les grands noms de Michel-Ange et de Raphaël leur imposent seuls silence, et ils murmurent quelques vagues formules d’enthousiasme pour aller s’extasier sincèrement, cette fois, devant quelque Madeleine du Guide ou quelque Vierge de Carlo Dolci. Nous faisons donc la part très-large au désagrément d’aspect que comporte la fresque, mais ici l’exécution est vraiment par trop rebutante : si l’esprit est satisfait, l’œil