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ves-souris de l’hallucination ne trouveraient pas un angle obscur pour s’accrocher de l’ongle.

Ces belles maisons monumentales, qu’on prendrait volontiers pour des palais, à voir leurs colonnes, leurs frontons, leurs architraves, sont bâties en briques pour la plupart, car la pierre paraît rare à Berlin ; mais en briques recouvertes de ciment ou de plâtre badigeonné, de manière à simuler la pierre de taille ; des joints trompeurs indiquent des assises fictives, et l’illusion serait complète si, par places, les gelées de l’hiver, détachant le crépi, ne faisaient apparaître le ton rouge de l’argile cuite. La nécessité de peindre entièrement les façades pour masquer la nature des matériaux leur donne l’aspect de grands décors d’architecture vus en plein jour. Les parties saillantes, moulures, corniches, entablements, consoles, sont en bois, en fonte ou en tôle, à laquelle on a donné la forme convenable ; quand on n’y regarde pas de trop près, l’effet est satisfaisant. Il ne manque à toute cette splendeur que la sincérité.

Les palais qui bordent le Regent’s Park à Londres, offrent aussi ces portiques et ces colonnes à noyaux de brique, à cannelures de plâtre, qu’une couche de peinture à l’huile essaye de faire prendre pour de la pierre ou du marbre. Pourquoi ne pas bâtir franchement en brique, dont les tons chauds et la pose ingénieusement contrariée fournissent tant de ressources ? Nous avons vu en ce genre, à Berlin même, des maisons charmantes et ayant pour l’œil l’avantage d’être vraies. Une matière feinte inspire toujours quelque inquiétude.

L’hôtel de Russie est très-bien situé, et nous allons prendre le point de vue qu’on découvre de son perron. Il donnera une idée assez juste du caractère général de Berlin.

Le premier plan est un quai bordant la Sprée. — Quelques bateaux aux mâts élancés dorment sur son eau brune. — Des barques sur un canal ou un fleuve, dans l’intérieur d’une ville, sont toujours d’un effet charmant.

Sur l’autre quai se déploie une ligne de maisons dont