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VOYAGE EN ESPAGNE.

prison qui distingue les manoirs castillans. Cependant, sans vouloir tomber ici dans le travers de ce voyageur qui écrivait sur son calepin : « Toutes les femmes de Calais sont acariâtres, rousses et bossues », parce que l’hôtesse de son auberge réunissait ces trois défauts, nous devons dire que nous n’avons aperçu, à ces fenêtres si bien garnies de barreaux, que de charmants visages et des physionomies d’anges ; c’est peut-être pour cela qu’elles sont grillées avec tant de soin. En attendant le dîner, nous allâmes visiter l’arsenal maritime, établissement conçu dans les proportions les plus grandioses, et aujourd’hui dans un état d’abandon qui fait peine à voir ; ces vastes bassins, ces cales, ces chantiers inactifs où pourrait se construire une autre Armada, ne servent plus à rien. Deux ou trois carcasses ébauchées, pareilles à des squelettes de cachalots échoués, achèvent de pourrir obscurément dans un coin ; des milliers de grillons ont pris possession de ces grands bâtiments déserts, on ne sait où poser le pied pour n’en pas écraser ; ils font tant de bruit avec leurs petites crécelles, que l’on a de la peine à s’entendre parler. Malgré l’amour que je professe pour les grillons, amour que j’ai exprimé en prose et en vers, je dois convenir qu’il y en avait un peu trop.

De Carthagène, nous allâmes jusqu’à la ville d’Alicante, de laquelle, d’après un vers des Orientales de Victor Hugo, je m’étais composé dans ma tête un dessin infiniment trop dentelé :


Alicante aux clochers mêle les minarets.


Or, Alicante, du moins aujourd’hui, aurait beaucoup de peine à opérer ce mélange que je reconnais pour infiniment désirable et pittoresque, attendu qu’elle n’a d’abord pas de minaret, et qu’ensuite le seul clocher qu’elle possède n’est qu’une tour fort basse et peu apparente. Ce qui caractérise Alicante, c’est un énorme rocher qui s’élève du milieu de la ville, lequel rocher, magnifique de forme,