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VOYAGE EN ESPAGNE.

notre arrivée à Gibraltar. Comment la science moderne, qui s’occupe avec tant de sollicitude des rhumes de cerveau des lapins, et s’amuse à teindre en rouge les os des canards, n’a-t-elle pas encore cherché sérieusement un remède à cet horrible malaise qui fait plus souffrir qu’une agonie réelle ?

La mer était encore un peu dure, bien que le temps fût magnifique ; l’air avait une telle transparence, que nous apercevions assez distinctement la côte d’Afrique, le cap Spartel et la baie au fond de laquelle se trouve Tanger, que nous eûmes le regret de ne pouvoir visiter. Cette bande de montagnes pareilles à des nuages, dont elles ne différaient que par l’immobilité, c’était donc l’Afrique, la terre des prodiges, dont les Romains disaient : Quid novi fert Africa ? le plus ancien continent, le berceau de la civilisation orientale, le foyer de l’islam, le monde noir où l’ombre absente du ciel se trouve seulement sur les visages, le laboratoire mystérieux où la nature, qui s’essaie à produire l’homme, transforme d’abord le singe en nègre ! La voir et passer, quel raffinement nouveau du supplice de Tantale !

À la hauteur de Tarifa, bourgade dont les murailles de craie se dressent sur une colline escarpée derrière une petite île du même nom, l’Europe et l’Afrique se rapprochent et semblent vouloir se donner un baiser d’alliance. Le détroit est si resserré, que l’on découvre à la fois les deux continents. Il est impossible de ne pas croire, quand on est sur les lieux, que la Méditerranée n’ait été, à une époque qui ne doit pas être très-reculée, une mer isolée, un lac intérieur, comme la mer Caspienne, la mer d’Aral et la mer Morte. Le spectacle qui se présentait à nos yeux était d’une magnificence merveilleuse. À gauche l’Europe, à droite l’Afrique, avec leurs côtes rocheuses, revêtues par l’éloignement de nuances lilas clair, gorge de pigeon, comme celles d’une étoffe de soie à deux trames ; en avant, l’horizon sans bornes et s’élargissant toujours ;