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VOYAGE EN ESPAGNE.

tensité fait paraître sales les tons de l’eau, toujours moins éclatants. La mer seule peut lutter de transparence et d’azur contre un semblable ciel. Le fleuve allait toujours s’élargissant, les rives décroissaient et s’aplatissaient, et l’aspect général du paysage rappelait assez la physionomie de l’Escaut entre Anvers et Ostende. Ce souvenir flamand en pleine Andalousie est assez bizarre à propos du Guadalquivir au nom moresque ; mais ce rapport se présenta à mon esprit si naturellement, qu’il fallait que la ressemblance fût bien réelle, car je ne pensais guère, je vous le jure, ni à l’Escaut, ni au voyage que j’ai fait en Flandre il y a quelque six ou sept ans. Il y avait, du reste, peu de mouvement sur le fleuve, et ce que l’on apercevait de campagne au delà des rives semblait inculte et désert ; il est vrai que nous étions en pleine canicule, saison pendant laquelle l’Espagne n’est plus guère qu’un vaste tas de cendre sans végétation ni verdure. Pour tous personnages, des hérons et des cigognes, une patte pliée sous le ventre, l’autre plongée à demi dans l’eau, attendaient le passage de quelque poisson dans une immobilité si complète, qu’on les eût pris pour des oiseaux de bois fichés sur une baguette. Des barques avec des voiles latines posées en ciseaux descendaient et remontaient le cours du fleuve sous le même vent, phénomène que je n’ai jamais bien compris, quoiqu’on me l’ait expliqué plusieurs fois. Quelques-uns de ces bateaux portaient une troisième petite voile en forme de triangle isocèle, posée dans l’écartement produit par les pointes divergentes des deux grandes voiles : ce gréement est très-pittoresque.

Vers quatre ou cinq heures du soir, nous passions devant San-Lucar, situé sur la gauche du fleuve. Un grand bâtiment d’architecture moderne, construit avec cette régularité de caserne et d’hôpital qui fait le charme des constructions actuelles, portait à son frontispice une inscription quelconque que nous ne pûmes lire, ce que nous regrettons peu. Cette chose carrée et percée de beaucoup