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VOYAGE EN ESPAGNE.

étions d’honnêtes voyageurs fourvoyés, ils nous proposèrent poliment d’entrer nous reposer dans la ferme.

C’était l’heure du souper de ces braves gens. Une vieille ridée, tannée, momifiée en quelque sorte, et dont la peau faisait des plis à toutes les jointures comme une botte à la hussarde, préparait dans une jatte de terre rouge un gaspacho gigantesque. Cinq à six lévriers de la plus haute taille, minces de râble, larges de poitrine, supérieurement coiffés, dignes de la meute d’un roi, suivaient les mouvements de la vieille avec l’attention la plus soutenue et l’air le plus mélancoliquement admiratif qu’on puisse imaginer. Mais ce délicieux régal n’était pas pour eux ; en Andalousie, ce sont les hommes et non les chiens qui mangent la soupe de croûtes de pain détrempées dans l’eau. Des chats que l’absence d’oreilles et de queue, car en Espagne on leur retranche ces superfluités ornementales, rendait semblables à des chimères japonaises, regardaient aussi, mais de plus loin, ces appétissants préparatifs. Une écuelle dudit gaspacho, deux tranches de notre jambon et quelques grappes d’un raisin blond comme l’ambre, nous composèrent un souper qu’il nous fallut disputer aux familiarités envahissantes des lévriers, qui, sous prétexte de nous lécher, nous arrachaient littéralement la viande de la bouche. Nous nous levions et nous mangions debout, notre assiette à la main ; mais les diables de bêtes se dressaient sur les pattes de derrière, nous jetaient les pattes de devant aux épaules, et se trouvaient ainsi à hauteur du morceau convoité. S’ils ne l’emportaient pas, ils lui donnaient au moins deux ou trois tours de langue, et en prélibaient ainsi la première et la plus délicate saveur. Ces lévriers nous parurent descendre en droite ligne d’un chien fameux dont Cervantes n’a pourtant pas écrit l’histoire dans ses dialogues. Cet illustre animal tenait dans une fonda espagnole l’emploi de laveuse de vaisselle, et comme on reprochait à la servante que les assiettes n’étaient pas propres, elle jura ses grands dieux qu’elles