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VOYAGE EN ESPAGNE.

trop macabre et de trop anatomique ; elles conservent les contours et les rondeurs de leur sexe ; elles ont l’air de femmes qui dansent et non pas de danseuses, ce qui est bien différent. Leur manière n’a pas le moindre rapport avec celle de l’école française. Dans celle-ci, l’immobilité et la perpendicularité du buste sont expressément recommandée ; le corps ne participe presque pas aux mouvements des jambes. En Espagne, les pieds quittent à peine la terre ; point de ces grands ronds de jambe, de ces écarts qui font ressembler une femme à un compas forcé, et qu’on trouve là-bas d’une indécence révoltante. C’est le corps qui danse, ce sont les reins qui se cambrent, les flancs qui ploient, la taille qui se tord avec une souplesse d’almée ou de couleuvre. Dans les poses renversées, les épaules de la danseuse vont presque toucher la terre ; les bras, pâmés et morts, ont une flexibilité, une mollesse d’écharpe dénouée ; on dirait que les mains peuvent à peine soulever et faire babiller les castagnettes d’ivoire aux cordons tressés d’or ; et cependant, au moment venu, des bonds de jeune jaguar succèdent à cette langueur voluptueuse, et prouvent que ces corps, doux comme la soie, enveloppent des muscles d’acier. Les almées moresques suivent encore aujourd’hui le même système : leur danse consiste dans les ondulations harmonieusement lascives du torse, des hanches et des reins, avec des renversements de bras par-dessus la tête. Les traditions arabes se sont conservées dans les pas nationaux, surtout en Andalousie.

Les danseurs espagnols, quoique médiocres, ont un air cavalier, galant et hardi, que je préfère de beaucoup aux grâces équivoques et fades des nôtres. Ils n’ont l’air occupés ni d’eux-mêmes ni du public ; ils n’ont de regards, de sourire que pour leur danseuse, dont ils paraissent toujours passionnément épris, et qu’ils semblent disposés à défendre contre tous. Ils possèdent une certaine grâce féroce, une certaine allure insolemment cambrée qui leur est toute particulière. En essuyant leur fard, ils pourraient