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VOYAGE EN ESPAGNE.

lutte souvent périlleuse. Tout le monde y trouve son compte.

Une nuit, entre Alhama et Velez, notre cosario s’était assoupi sur le cou de la mule, en queue de la file, quand tout à coup des cris aigus le réveillent ; il voit briller des trabucos sur le bord de la route. Plus de doute, le convoi était attaqué. Surpris au dernier point, il se jette à bas de sa monture, relève de la main les gueules des tromblons, et se nomme. « Ah ! pardon, señor Lanza, disent les brigands, tout confus de leur méprise, nous ne vous avions pas reconnu ; nous sommes des gens honnêtes, incapables d’une pareille indélicatesse, nous avons trop d’honneur pour vous prendre seulement un cigare. »

Si l’on n’est pas un homme connu sur la route, il faut traîner après soi des escortes nombreuses armées jusqu’aux dents, qui coûtent fort cher et offrent moins de certitude, car habituellement, les escopeteros sont des voleurs à la retraite.

Il est d’usage en Andalousie, lorsqu’on voyage à cheval, et que l’on va aux courses, de revêtir le costume national. Aussi notre petite caravane était-elle assez pittoresque, et faisait-elle fort bonne figure en sortant de Grenade. Saisissant avec joie cette occasion de me travestir en dehors du carnaval, et de quitter pour quelque temps l’affreuse défroque française, j’avais revêtu mon habit de majo : chapeau pointu, veste brodée, gilet de velours à boutons de filigrane, ceinture de soie rouge, culotte de tricot, guêtres ouvertes au mollet. Mon compagnon de route portait son costume de velours vert et de cuir de Cordoue. D’autres avaient la montera, la veste et la culotte noire ornées d’agréments de soie de même couleur, avec la cravate et la ceinture jaunes. Lanza se faisait remarquer par le luxe de ses boutons d’argent faits de piécettes à la colonne soudées à un crochet, et les broderies en soie plate de sa seconde veste portée sur l’épaule comme le dolman des hussards.