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VOYAGE EN ESPAGNE.

ries, et tout se soutient dans cette gamme. Vers la fin de la journée, quand le soleil est oblique, il se produit des effets inconcevables : les montagnes étincellent comme des entassements de rubis, de topazes et d’escarboucles ; une poussière d’or baigne les intervalles, et si, comme cela est fréquent dans l’été, les laboureurs brûlent le chaume dans la plaine, les flocons de fumée qui s’élèvent lentement vers le ciel empruntent aux feux du couchant des reflets magiques. Je suis étonné que les peintres espagnols aient, en général, si fort rembruni leurs tableaux, et se soient jetés presque exclusivement dans l’imitation du Caravage et des maîtres sombres. Les tableaux de Decamps et de Marilhat, qui n’ont peint que des sites d’Asie ou d’Afrique, donnent de l’Espagne une idée bien plus juste que tous les tableaux rapportés à grands frais de la Péninsule.

Nous traverserons, sans nous y arrêter, le jardin de Lindaraja, qui n’est plus qu’un terrain inculte, jonché de décombres, hérissé de broussailles, et nous entrerons un instant dans les bains de la Sultane, revêtus de mosaïques de carreaux de terre vernissée, brodés de filigrane de plâtre à faire honte aux madrépores les plus compliqués. Une fontaine occupe le milieu de la pièce ; deux espèces d’alcôves sont pratiquées dans le mur ; c’était là que Chaîne des cœurs et Zobéide venaient se reposer sur des carreaux de toile d’or, après avoir savouré les délices et les raffinements d’un bain oriental. On voit encore, à une quinzaine de pieds du sol, les tribunes ou balcons où se plaçaient les musiciens et les chanteurs. Les baignoires sont de grandes cuves de marbre blanc d’un seul morceau, placées dans de petits cabinets voûtés, éclairés par des rosaces ou étoiles découpées à jour. Nous ne parlerons pas, de peur de tomber dans des répétitions fastidieuses, de la salle des Secrets, où l’on remarque un effet d’acoustique singulier, et dont les angles sont noircis par le nez des curieux qui vont chuchoter quelque impertinence fidèle-