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VOYAGE EN ESPAGNE.

grande délicatesse. Des bassins à jet d’eau, dont le trop-plein se dégorge dans le réservoir par une rigole de marbre, sont placés sous chaque galerie et complètent la symétrie de la décoration. À gauche se trouvent les archives et la pièce où, parmi des débris de toutes sortes, est relégué, il faut le dire à la honte des Grenadins, le magnifique vase de l’Alhambra, haut de près de quatre pieds, tout couvert d’ornements et d’inscriptions, monument d’une rareté inestimable, qui ferait à lui seul la gloire d’un musée, et que l’incurie espagnole laisse se dégrader dans un recoin ignoble. Une des ailes qui forme les anses a été cassée récemment. De ce côté sont aussi les passages qui conduisent à l’ancienne mosquée, convertie en église, lors de la conquête, sous l’invocation de sainte Marie de l’Alhambra. À droite sont les logements des gens de service, où la tête de quelque brune servante andalouse, encadrée par une étroite fenêtre moresque, produit un effet oriental assez satisfaisant. Dans le fond, au-dessus du vilain toit de tuiles rondes, qui a remplacé les poutres de cèdre et les tuiles dorées de la toiture arabe, s’élève majestueusement la tour de Comares, dont les créneaux découpent leurs dentelures vermeilles dans l’admirable limpidité du ciel. Cette tour renferme la salle des Ambassadeurs, et communique avec le Patio de los Arrayanes par une espèce d’antichambre nommée la Barca, à cause de sa forme.

L’antichambre de la salle des Ambassadeurs est digne de sa destination : la hardiesse de ses arcades, la variété, l’enlacement de ses arabesques, les mosaïques de ses murailles, le travail de sa voûte de stuc, fouillée comme un plafond de grotte à stalactites, peinte d’azur, de vert et de rouge, dont les traces sont encore visibles, forment un ensemble d’une originalité et d’une bizarrerie charmantes.

De chaque côté de la porte qui mène à la salle des Ambassadeurs, dans le jambage même de l’arcade, au-dessus du revêtement de carreaux vernissés dont les triangles de couleurs tranchantes garnissent le bas des murs, sont