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VOYAGE EN ESPAGNE.

ce jardin inculte et sauvage aux trois quarts nous parut un petit paradis terrestre.

La jeune fille qui nous donna à boire dans un de ces charmants pots d’argile poreuse qui font l’eau si fraîche, était fort jolie avec ses yeux allongés jusqu’aux tempes, son teint fauve et sa bouche africaine épanouie et vermeille comme un bel œillet, sa jupe à falbalas, et ses souliers de velours dont elle paraissait toute fière et toute occupée. Ce type, qui se retrouve fréquemment à Grenade, est évidemment moresque.

À un certain endroit, la vallée s’étrangle, et les rochers se rapprochent au point de ne laisser que tout juste la place du Rio. Autrefois les voitures étaient forcées d’entrer et de marcher dans le lit même du torrent, ce qui ne laissait pas d’avoir son danger à cause des trous, des pierres et de l’élévation de l’eau, qui, en hiver, doit s’enfler considérablement. Pour obvier à cet inconvénient, l’on a percé de part en part un des rochers et pratiqué un tunnel assez long, dans le genre des viaducs des chemins de fer. Cet ouvrage, assez considérable, ne date que de quelques années.

À partir de là, la vallée s’évase, et le chemin n’est plus obstrué. Il existe ici, dans mes souvenirs, une lacune de quelques lieues. Abattu par la chaleur, que le temps, tourné à l’orage, rendait véritablement suffocante, je finis par m’endormir. Quand je m’éveillai, la nuit, qui vient si subitement dans les climats méridionaux, était tombée tout à fait, un vent affreux soulevait des tourbillons de poussière enflammée ; ce vent-là devait être bien proche parent du siroco d’Afrique, et je ne sais pas comment nous n’avons pas été asphyxiés. Les formes des objets disparaissaient dans ce brouillard poudreux ; le ciel, ordinairement si splendide dans les nuits d’été, semblait une voûte de four ; il était impossible de voir à deux pas devant soi. Nous fîmes notre entrée à Grenade vers deux heures du matin, et nous descendîmes à la Fonda del Comercio, soi-disant