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VOYAGE EN ESPAGNE.

côté de la route, que l’on a jugé prudent de la garnir d’un parapet, sans quoi la voiture, toujours lancée au galop, et si difficile à diriger à cause de la fréquence des coudes, pourrait très bien faire un saut périlleux de cinq à six cents pieds pour le moins.

C’est dans la Sierra-Morena que le chevalier de la Triste figure, à l’imitation d’Amadis sur la roche Pauvre, accomplit cette célèbre pénitence qui consistait à faire des culbutes en chemise sur les roches les plus aiguës, et que Sancho Pança, l’homme positif, la raison vulgaire à côté de la noble folie, trouva la valise de Cardenio si bien garnie de ducats et de chemises fines. On ne peut faire un pas en Espagne sans trouver le souvenir de don Quichotte, tant l’ouvrage de Cervantès est profondément national, et tant ces deux figures résument en elles seules tout le caractère espagnol : l’exaltation chevaleresque, l’esprit aventureux joint à un grand bon sens pratique et à une sorte de bonhomie joviale pleine de finesse et de causticité.

À Venta de Cardona, où l’on changea de mules, je vis, couché dans son berceau, un joli petit enfant d’une blancheur éblouissante, et qui ressemblait à un Jésus de cire dans sa crèche. Les Espagnols, lorsqu’ils ne sont pas encore hâlés par le soleil, sont en général d’une blancheur extrême.

La Sierra-Morena franchie, l’aspect du pays change totalement ; c’est comme si l’on passait tout à coup de l’Europe à l’Afrique : les vipères, regagnant leur trou, raient de traînées obliques le sable fin de la route ; les aloès commencent à brandir leurs grands sabres épineux au bord des fossés. Ces larges éventails de feuilles charnues, épaisses, d’un gris azuré, donnent tout de suite une physionomie différente au paysage. On se sent véritablement ailleurs ; l’on comprend que l’on a quitté Paris tout de bon ; la différence du climat, de l’architecture, des costumes, ne vous dépayse pas autant que la présence de ces grands végétaux des régions torrides que nous n’avons