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VOYAGE EN ESPAGNE.

plus stricte simplicité : tout pour l’âme, rien pour le corps.

À peu de distance de San Juan de los Reyes se trouve, ou plutôt ne se trouve pas, la célèbre mosquée synagogue ; car, à moins d’avoir un guide, on passerait vingt fois devant sans en soupçonner l’existence. Notre cornac frappa à une porte pratiquée dans un mur de pisé rougeâtre le plus insignifiant du monde ; au bout de quelque temps, car les Espagnols ne sont jamais pressés, l’on vint nous ouvrir, et l’on nous demanda si nous venions pour voir la synagogue ; sur notre réponse affirmative, l’on nous introduisit dans une espèce de cour remplie de végétations incultes, au milieu desquelles s’épanouissait un figuier d’Inde aux feuilles profondément découpées, d’une verdure intense et brillante comme si elles eussent été vernies. Dans le fond s’élevait une masure sans caractère, ayant plutôt l’air d’une grange que de toute autre chose. On nous fit entrer dans cette masure. Jamais surprise ne fut plus grande : nous étions en plein Orient ; les colonnes fluettes, aux chapiteaux évasés comme des turbans, les arcs turcs, les versets du Coran, le plafond plat aux compartiments de bois de cèdre, les jours pris d’en haut, rien n’y manquait. Des restes d’anciennes enluminures presque effacées teignaient les murailles de couleurs étranges, et ajoutaient encore à la singularité de l’effet. Cette synagogue, dont les Arabes ont fait une mosquée, et les chrétiens une église, sert aujourd’hui d’atelier et de logement à un menuisier. L’établi a pris la place de l’autel ; cette profanation est toute récente. L’on voit encore les vestiges du retablo, et l’inscription sur marbre noir qui constate la consécration de cet édifice au culte catholique.

À propos de synagogue, plaçons ici cette anecdote assez curieuse. Les Juifs de Tolède, probablement pour diminuer l’horreur qu’ils inspiraient aux populations chrétiennes en leur qualité de déicides, prétendaient n’avoir pas consenti à la mort de Jésus-Christ, et voici comment : lorsque Jésus fut mis en jugement, le conseil des