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VOYAGE EN ESPAGNE.

rapport avec le style du monument, et doivent sans doute remplacer d’anciennes peintures dégradées par les siècles ou trouvées trop gothiques par les gens de bon goût de ce temps-là. Un cloître est fort bien situé auprès d’une église ; il ménage heureusement la transition de la tranquillité du sanctuaire à l’agitation de la cité. On peut aller s’y promener, rêver, réfléchir, sans toutefois être astreint à suivre les prières et les cérémonies du culte ; les catholiques entrent dans le temple, les chrétiens restent plus souvent dans le cloître. Cette disposition d’esprit a été comprise par le catholicisme, si habile psychologue. Dans les pays religieux, la cathédrale est l’endroit le plus orné, le plus riche, le plus doré, le plus fleuri ; c’est là que l’ombre est la plus fraîche et la paix la plus profonde ; la musique y est meilleure qu’au théâtre, et la pompe du spectacle n’a pas de rivale. C’est le point central, le lieu attrayant, comme l’Opéra à Paris. Nous n’avons pas l’idée, nous autres catholiques du Nord, avec nos temples voltairiens, du luxe, de l’élégance, du confortable des églises espagnoles ; ces églises sont meublées, vivantes, et n’ont pas l’aspect glacialement désert des nôtres : les fidèles peuvent y habiter familièrement avec leur Dieu.

Les sacristies et les salles capitulaires de la cathédrale de Tolède sont d’une magnificence plus que royale ; rien n’est plus noble et plus pittoresque que ces vastes salles décorées avec ce luxe solide et sévère dont l’Église a seule le secret. Ce ne sont que menuiseries sculptées de noyer ou de chêne noir, portières de tapisserie ou de damas des Indes, rideaux de brocatelle à plis larges et puissants, tentures historiées, tapis de Perse, peintures à fresque. Nous n’essaierons pas de les décrire les unes après les autres ; nous parlerons seulement d’une pièce ornée d’admirables fresques représentant des sujets religieux dans le style allemand, dont les Espagnols ont fait de si heureuses imitations, et qu’on attribue au neveu de Berruguète, si ce n’est à Berruguète lui-même, car ces prodigieux génies