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VOYAGE EN ESPAGNE.

pour s’y rendre : pas un arbre, pas une maison ; de grandes pentes qui s’enveloppent les unes dans les autres, des ravins desséchés, que la présence de plusieurs ponts désigne comme des lits de torrents, et çà et là, une échappée de montagnes bleues coiffées de neiges ou de nuages. Ce paysage, tel qu’il est, ne manque cependant pas de grandeur : l’absence de toute végétation donne aux lignes de terrain une sévérité et une franchise extraordinaires ; à mesure que l’on s’éloigne de Madrid, les pierres dont la campagne est constellée deviennent plus grosses et montrent l’ambition d’être des rochers ; ces pierres, d’un gris bleuâtre, papelonnant le sol écaillé, font l’effet de verrues sur le dos rugueux d’un crocodile centenaire ; elles découpent mille déchiquetures bizarres sur la silhouette des collines, qui ressemblent à des décombres d’édifices gigantesques.

À moitié route, au bout d’une montée assez rude, l’on trouve une pauvre maison isolée, la seule que l’on rencontre dans un espace de huit lieues, en face d’une fontaine qui filtre goutte à goutte une eau pure et glaciale ; l’on boit autant de verres d’eau qu’il s’en trouve dans la source, on laisse souffler les mules, puis l’on se remet en route ; et vous ne tardez pas à apercevoir, détaché sur le fond vaporeux de la montagne, par un vif rayon du soleil, l’Escurial, ce Léviathan d’architecture. L’effet, de loin, est très-beau : on dirait un immense palais oriental : la coupole de pierre et les boules qui terminent toutes les pointes, contribuent beaucoup à cette illusion. Avant d’y arriver, l’on traverse un grand bois d’oliviers orné de croix bizarrement juchées sur des quartiers de grosses roches de l’effet le plus pittoresque ; le bois traversé, vous débouchez dans le village, et vous vous trouvez face à face avec le colosse, qui perd beaucoup à être vu de près, comme tous les colosses de ce monde. La première chose qui me frappa, ce fut l’immense quantité d’hirondelles et de martinets qui tournoyaient dans l’air par essaims innombrables, en pous-