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patte de temps en temps, et méditant le projet chimérique et fabuleux d’inviter la belle ouvrière en dentelles… pour la prochaine.

Un soupir plein de mélancolie s’échappa de la poitrine des quatre imbéciles, qui, bien que nés rues du Puits-qui-Parle, de la Femme-sans-Tête, de l’Homme-Armé et du Petit-Musc, ne purent s’empêcher d’envier la facilité avec laquelle ce petit gringalet débarqué d’Auxerre se présentait aux jolies filles.

L’aimable droguiste, qui croyait n’avoir pas produit une impression désagréable sur Mlle Jeannette, et qui, depuis le commencement du bal, se torturait l’esprit pour en tirer des madrigaux et des compliments qui ne sentissent pas trop leur rue Saint-Avoie, ne vit pas entrer dans la lice ce nouveau concurrent sans en éprouver du déplaisir.

Car on a beau dire que l’amour-propre aveugle l’homme, il n’aveugle pas assez les droguistes pour ne pas leur faire redouter la présence d’un joli garçon auprès de l’objet de leur préférence.

Le troisième clerc ne put s’empêcher non plus de regarder d’un œil farouche et de maudire in petto M. Bonnard d’avoir amené ce jouvenceau propret et tiré à quatre épingles, qui réussissait, au bout d’une phrase, mieux que lui au bout de deux heures de soins et de galanteries, car le sourire avec lequel Jeannette accueillit la demande de M. Jean avait quelque chose de si gracieux, de si doux et de si bienveillant, que le bazochien en éprouva de la jalousie ; il n’avait jamais obtenu, lui, que de petits sourires du bout des lèvres et comme accordés par grâce, et pourtant sa gaieté intarissable eût déridé les morts, et cette soirée avait été pour lui la soirée suprême.

M. Jean prit délicatement Mlle Jeannette par le bout de ses jolis doigts, et la conduisit à sa place dans la danse.

Il ne s’acquitta pas mal des figures, ne se montra