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Paul.

Cher ami !

Georges.

Cher ami !D’où viens-tu ?

Paul.

Cher ami ! D’où viens-tu ?Je viens… de l’univers.
Comme Ulysse, j’ai vu les villes et les hommes,
J’ai perdu des cheveux et j’ai gagné des sommes.

Georges.

Depuis six ans ton front s’est un peu déplumé.

Paul.

Pour avoir trop souffert, pour avoir trop aimé !
Les neveux ont toujours un oncle qui les mate ;
Le mien m’a revêtu d’un frac de diplomate ;
J’étais né pour porter l’habit bleu de Werther.

Georges.

Ce costume, en effet, t’eût donné fort grand air,
Avec la botte à cœur et surtout la culotte ;
J’aurais voulu te voir auprès d’une Lolotte
Te disant : « Ô Klosptock ! »

Paul.

Te disant : « Ô Klosptock ! »Tu ris, mauvais sujet !
Mais l’unique bonheur auquel mon cœur songeait
Était un pur amour, à la mode allemande,
Pour une vierge blonde, aux doux yeux en amande,
Parlant de clair de lune et de vergiss-mein-nicht.
Mon rêve, je le vis, un soir, chez Metternich,
Qui walsait, à deux temps, avec un feld-zeugmestre,
Berçant sa nonchalance au rhythme de l’orchestre.
Au second tour, ses yeux dans les miens avaient lu
Et notre mariage allait être conclu,
Quand mon gouvernement, dans sa faveur maussade,
Pour me faire avancer, me changea d’ambassade :
Il fallut quitter Vienne et me rendre à Madrid.