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choses vous font saigner le cœur en dedans ; les anciennes blessures se rouvrent et l’on se sent triste jusqu’à la mort.

Chacun des réfugiés, riche ou pauvre, lettré ou illettré, éprouve cela plus ou moins, et tous, même aux endroits dangereux, au risque de recevoir une balle prussienne, vont faire une visite à la maison, villa ou chaumière, boutique ou logement qu’ils ont été obligés d’abandonner, dût-on trouver le lieu dévasté, effondré par les obus, crénelé et percé de meurtrières. On veut revoir le petit jardin, le puits que festonnait le houblon et la vigne vierge, le carré de choux, les tournesols balançant leurs disques au-dessus des plants de légumes, et tout ce pauvre pittoresque de banlieue qui produit plus d’effet peut-être sur les humbles de cœur que les grands aspects de la nature.

Ce désir nous saisit l’autre jour avec une intensité maladivement irrésistible. Nous ne pouvions plus lire ni écrire ; notre plume s’arrêtait au milieu de la ligne attendant que l’esprit la guidât, mais l’esprit était ailleurs. Nous nous étions pourtant bien promis de ne sortir de la ville que triomphant et l’ennemi chassé. Il fallut