Page:Gautier - Tableaux de Siége.djvu/96

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nature, vous attache à une ville, à un quartier, à une maison, moins que cela, à un coin de chambre, à un fauteuil tourné d’une certaine manière, ont été rompus brusquement.

Occupé d’abord par la succession des catastrophes, les colères de la défaite, la fièvre de la défense, on n’a pas senti la rupture de ces fibrilles dont les racines plongent au plus profond du cœur. Mais les jours succèdent aux jours entremêlés d’espoirs et d’abattements ; la vie reprend peu à peu son niveau, et l’on en vient, dans le désastre général, à sentir son propre petit malheur à soi. L’âme vous fait mal et ne s’emboîte pas bien avec le corps. Quelque chose vous manque que vous cherchez vaguement. D’indéfinissables mélancolies vous envahissent ; vous éprouvez des gênes bizarres : ce sont les vieilles habitudes qui reviennent et vous chuchotent à l’oreille des paroles connues, de vieux mots d’autrefois. Elles vous enlacent de leurs bras souples, et, la tête penchée, mouillent votre épaule de tièdes larmes ; elles amènent avec elles le Souvenir et la Nostalgie, deux mornes figures drapées de gris.

Et cela vous prend le matin, lorsqu’en ouvrant