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nasillarde, ni de la musique endiablée des Tsiganes, ni des Aïssaouas mangeurs de feu et de serpents. C’était la grande foire du monde à côté de l’Exposition universelle, la petite pièce après la grande. Rien n’y manquait, pas même une statue équestre du roi Guillaume qu’on avait la politesse de ne pas trouver trop ridicule, pas même ce fameux canon Krupp dont on nous menace et que nous admirions médiocrement, car c’était le temps des belles luttes pacifiques, honneur de l’esprit humain, et nul ne pensait que cet effroyable engin de destruction dût jamais servir.

Les empereurs, les rois, les sultans, les princes venaient rendre visite avec une politesse jalouse à cette belle ville, objet de leur secrète envie, et Paris leur faisait des entrées et les recevait avec son gai sourire, ne pensant pas aux rancunes qu’excitaient ses splendeurs.

Qui se douterait aujourd’hui que, sur ce terrain vague, ça et là jonché de paille, où fume le feu des bivouacs, s’élevait comme un rêve l’édifice féerique ? Il semble que des siècles se soient écoulés depuis cette époque, pourtant si rapprochée de nous. C’était trop beau. Les Moires, ces divinités sévères qu’offusque l’orgueil des individus