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Sur le pont d’Iéna baptisé d’un nom de victoire comme la plupart de nos ponts – Austerlitz, Arcole, Solferino, l’Alma – défilaient des régiments de ligne se dirigeant vers les hauteurs de Chaillot. Des escadrons de gendarmerie suivaient le quai du côté de la Manutention militaire en pleine ébullition d’activité. Tout respirait la guerre, tout se préparait à la défense ; les quatre groupes équestres situés aux abords du pont d’Iéna semblaient hennir et respirer l’odeur de la poudre.

Ces troupes partaient du champ de Mars, où s’alignent de longues files de baraquements en planches destinés à loger les soldats. Tout le vaste espace est transformé en camp. Qui dirait qu’il y a trois ans à peine s’élevait sur cette même place cette énorme Babel de cristal et de fer nommée le palais de l’Exposition universelle ? Dans le labyrinthe du bâtiment colossal s’entassaient les merveilles de la civilisation et de la paix, les suprêmes efforts du génie humain ; l’art y coudoyait l’industrie, les blanches statues s’y dressaient près des noires machines, la peinture s’étalait près des riches étoffes de l’Orient. Les maîtres de tous les pays avaient envoyé là leurs toiles les