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Toute cette agitation, cependant, ne trouble pas les pêcheurs à la ligne. Le pêcheur à la ligne est, de sa nature, philosophe et flegmatique. Nous en avons vu un grand nombre de Bercy au Point-du-Jour : les uns dans l’eau, à mi-jambe, comme des hérons à l’affût ; d’autres debout, à la pointe d’une barque ; ceux-ci assis, les pieds pendants au bord d’une rampe de quai ; ceux-là perchés sur la corniche d’un pont, tous suivant de l’œil, avec une extrême intensité d’attention, les nutations du flotteur en liége, ou remettant une amorce à leur hameçon, pour justifier sans doute l’axiome un peu sévère : « La ligne est un instrument qui commence par un asticot et fini par un imbécile. »

Ces braves gens ne semblaient guère penser aux Prussiens, et les bombes tombant à côté d’eux dans la rivière ne leur arracheraient que ce mots : « Cela va effrayer le poisson ! »

Quelques-uns voient peut-être dans cette innocente occupation la chance d’augmenter d’une friture la carte peu variée du siége ; mais les autres pêchent avec une passion désintéressée, sans espoir, comme toutes les vraies passions ; ils ne prennent jamais rien et ils reviennent toujours. Pourtant nous avons vu un pêcheur heu-