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soir il voulut bien se laisser conduire par un ami commun à notre mansarde de refuge.

Clairin, artiste distingué lui-même, son fidus Achates, son frère d’armes, son élu de cœur, l’accompagnait. Tous deux portaient l’accoutrement de guerre que pendant plus de quatre mois n’a pas quitté dans Paris quiconque était en état de soulever un chassepot. Regnault était à Tanger lorsque la catastrophe de Sedan ouvrit aux Prussiens la route de la grande capitale, cerveau de l’univers et cœur de la France. Il venait d’y installer un vaste atelier pour étudier a fond ce monde oriental, si neuf encore après Decamps, Marilhat et Delacroix, ce monde mystérieux de l’Islam, fermé à l’art jusqu’ici, et où se perpétuent les types les plus nobles et les plus purs. C’est de là qu’il avait envoyé cette Exécution sans jugement sous les rois maures de Grenade, qui est, hélas ! sa dernière œuvre. Il pouvait rester à Tanger. Son titre de prix de Rome l’exemptait de tout service militaire ; il avait le droit de conserver sa vie pour l’art ; mais il est de ces privilèges dont une nature généreuse ne veut pas profiter. Il revint en toute hâte, assez à temps pour s’enfermer dans Paris et partager les périls de son ami Clairin.