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plume, ces insouciants petits bohèmes consumés d’ardeur et d’esprit. Mais la faim les a fait accepter comme alouettes ou comme ortolans.

On a commencé à en faire la chasse, et, pendant quelque temps, habitués qu’ils étaient à la fusillade et au canon, ils se refusaient à croire que cette mousqueterie fût dirigée contre eux, ne se trouvant pas digne d’une telle dépense de poudre. On les lira à la sarbacane, on leur tendit des gluaux et des piéges. Il fallut bien se rendre à évidence et reconnaître que l’ancien pacte d’amitié était rompu et que les pierrots passaient dans Paris à l’état de gibier. Au parfait abandon succéda la défiance extrême. L’animal, trompé, en garde longtemps rancune. Le pierrot, si familier, devint farouche et hagard. Tout homme, même inoffensif, lui fit désormais l’effet d’un chasseur, et la petite clientèle qui venait, par les temps de neige, prendre sans crainte sur notre fenêtre quelques miettes de notre maigre pitance, ne reparut plus, et pourtant nous avons pour la vie des animaux le respect d’un brahme. Traquée, fusillée, décimée, la gent tout entière se décida à l’émigration, et, quoiqu’il soit douloureux d’abandonner le vieux mur tapissé de lierre où l’on fait