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cercle, le poil bourru et rêche comme du gazon sec. Il allait ainsi, plus misanthrope que Timon d’Athénes, évitant l’homme et surtout le militaire avec le même soin qu’il le recherchait autrefois ; lui, pauvre quadrupède, simple de cœur, il trouvait indélicate à l’endroit de son espèce la conduite du bimane, genre primate, qu’il avait trop longtemps estimé, et il lui en gardait rancune. C’était l’ombre d’un chien qui revenait : deux profils collés l’un sur l’autre, une découpure n’offrant aucune espèce d’épaisseur. La pauvre bête avait choisi pour lieu de ses promenades solitaires l’endroit où furent pétries dans la neige la statue de la Renaissance de Falquiére, et la tête colossale de la République, de M. Moulin. Un artiste qui avait monté de nombreuses gardes à ce bastion, avait remarqué le lamentable animal et, s’étant intéressé à lui, essayait de l’amadouer par toutes sortes d’avances. Il l’appelait d’une voix caressante, et s’asseyant sur une pierre pour ne pas l’effrayer par un air de poursuite, en marchant vers lui, il lui montrait de loin un appétissant morceau de pain. Sollicitée par l’appât, la bête s’arrêtait, mais ne faisait pas mine d’avancer, malgré la faim qui lui tordait les entrailles.